Entrée en vigueur du Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac

commerce illicite des produits du tabac
Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a annoncé mercredi 2 mai 2018 l’officialisation de la ratification par la Turquie du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite du tabac ». La Turquie devient ainsi le 35e pays à ratifier ce traité international. Un Protocole de l’OMS qui devrait entrer en vigueur au 1er octobre 2018, cinq ans plus tôt que ce qu’affirmait la Commission européenne.

L’OMS est, en effet, très proche de concrétiser son objectif de compter 40 ratifications au 2 juillet 2018, ce qui permettrait au Protocole de l’OMS d’entrer en vigueur en 90 jours, soit lors de la COP8 (8e Conférence des Parties) qui se tiendra à Genève du 1er au 10 octobre 2018.

Il ne manque plus, à ce jour, que 5 ratifications, sachant cependant que le Brésil, la Grande-Bretagne et la Russie ont déjà annoncé que leur ratification serait enregistrée pour la date butoir du 2 juillet 2018 fixée par l’OMS. L’Inde vient de même de confirmer son souhait de ratifier ce traité. Ces pays sont les plus avancés des 25 autres qui ont lancé leur procédure interne parlementaire ou gouvernementale de ratification.

50 milliards de pertes fiscales, dont 20 en UE et 10 en Afrique

Certes, en apparence, le défi ne semble pas très difficile à surmonter. Sur la forme et contrairement à beaucoup de textes juridiques, le Protocole est écrit de façon simple et intelligible par tous. Sur le fond, il vise à mettre fin à un fléau qui touche de façon croissante tous les pays du monde, celui du commerce parallèle de tabac, qui se traduit partout par une aggravation du tabagisme, et donc du nombre de fumeurs (notamment chez les adolescents), par des coûts sanitaires, par des pertes fiscales, et par de nouveaux vecteurs de financement des organisations de criminalité organisée. L’OMS estime que 12% des six mille milliards de cigarettes commercialisées dans le monde font l’objet d’un commerce parallèle, ce qui représente une perte fiscale pour les Etats de quelque 50 milliards d’euros par an, dont 20 milliards pour les Etats de l’UE et 10 milliards pour ceux d’Afrique.

En réalité, le Protocole de l’OMS, depuis son élaboration en 2012, est l’objet d’une intense campagne de lobbying des cigarettiers pour en empêcher l’entrée en vigueur et la mise en œuvre, le Protocole étant un de leurs pires cauchemars.

Un commerce parallèle de tabac organisé à 98,8% par les fabricants ?

En effet, pour mettre fin au commerce parallèle de tabac, le Protocole de l’OMS prévoit que tous les pays devront mettre en place des systèmes de traçabilité de tous les produits du tabac, de façon totalement indépendante des cigarettiers, mais financés par eux. La raison est simple : l’OMS, comme toutes les associations antitabac et tous les experts indépendants, sait que l’essentiel du commerce parallèle de tabac est organisé et alimenté par les cigarettiers eux-mêmes, pour contourner les législations et mesures fiscales contre le tabagisme. Plusieurs élus, comme le député européen Philippe Juvin, ou le député français François-Michel Lambert, considèrent que 98,8% du commerce parallèle de tabac sort directement des usines des cigarettiers. Avec l’application du Protocole de l’OMS, ce « petit trafic entre amis » ne serait plus possible. Il est intéressant de noter que les cigarettiers, pourtant d’habitude très procéduriers, n’ont jamais tenté de contester ces chiffres. Peur d’un débat parlementaire public ?

« Philip Morris files »

Officiellement bien sûr, les cigarettiers, comme le rappellent hypocritement leurs sites internet, soutiennent le Protocole de l’OMS. En réalité, comme l’Agence Reuters l’a très bien décrit en juillet 2017 dans les « Philip Morris files », ils ne cessent de le combattre, de le contrer, en empêchant sa ratification ou sa mise en oeuvre. Une duplicité qui n’a rien de nouveau tant l’histoire contemporaine recèle de telles manœuvres de leur part… Ainsi, de façon à peine voilée, l’industrie du tabac ferait du chantage à la fermeture d’usines et donc aux licenciements, du chantage à l’arrêt du financement de la vie politique et des campagnes électorales dans les pays où c’est encore possible, finance des études sujettes à caution sur la nature du commerce parallèle, verserait des « subventions » récompensant de « bonnes pratiques » par le biais de pseudo-fondations. L’industrie du tabac utilise aussi d’autres moyens à la limite du légal…

L’industrie exige d’être « contrôleur » et « contrôlé », pourquoi la Commission européenne laisse faire

En parallèle, l’industrie du tabac tenterait de faire prescrire le système qu’elle a elle-même conçu pour assurer la traçabilité de ses produits dans les exigences techniques en Union européenne (de la Directive tabac et ses actes dérivés), comme en Afrique par exemple avec la projet de ligne directrice pour lutter contre le commerce illicite, qui modifie les exigences pourtant claires du protocole dans des termes favorables à l’industrie du tabac. L’industrie promeut ainsi Codentify®, un système conçu par le géant Philip Morris, puis licencié gratuitement à une association comprenant également les trois autres majors du tabac, et enfin cédé à une société appelée Inexto (dont le conseil d’administration est composé d’une majorité d’anciens cadres de Philip Morris). Il parait bien sûr à la fois insensé de tenter d’être à la fois « contrôleur » et « contrôlé », « voleur » et « policier ». C’est, pour le journaliste Renaud Lecadre, « confier au renard la garde du poulailler » ou, pour l’eurodéputé José Bové, « la lutte contre le crime organisé à Al-Capone ». Contre-productif.

En effet, alors que depuis de nombreuses années, le processus d’authentification des cigarettes saisies par les douaniers repose sur l’industrie du tabac, qui est consultée pour savoir si ces produits viennent de leurs usines, les règles actuelles aboutiraient à mettre en œuvre, dans un cadre réglementaire validé par les plus hautes institutions, un système de vérification sous le contrôle de la personne à vérifier…

La Commission européenne, déjà touchée par plusieurs scandales qui vont de la pêche électrique au « Seylmargate », en passant par le glyphosate, s’est laissée convaincre, on ne sait par quels arguments, d’associer les fabricants à la mise en œuvre des systèmes de traçabilité des produits du tabac dans tous les Etats membres. Ce qui est totalement contraire à l’article 8 du Protocole de l’OMS qui interdit strictement toute forme de collaboration avec l’industrie du tabac. L’argument majeur de la Commission pour rédiger une « solution mixte », c’est-à-dire associant les fabricants, était que le Protocole ne pourrait pas entrer en vigueur avant plusieurs années, « pas avant 2022-2013 » selon ses dires, et qu’entre-temps, il fallait combler un soi-disant « vide juridique ». Sauf que l’argument va certainement tomber dans quelques semaines avec l’entrée en vigueur du Protocole. Un Protocole que l’UE avait pourtant ratifié dès le 24 juin 2016, après le vote de plus de 600 députés européens, avant de s’assoir dessus. La Commission ne semble pas à une provocation ou un arrangement près lorsqu’il s’agit de faire la courte-échelle à certains lobbies.

Imbroglio juridique

Bien sûr, la décision de la Commission n’est pas définitive. En effet, les 9 Etats membres (France, Allemagne, Lituanie, Lettonie, Portugal, Espagne, Slovaquie, Autriche, Chypre) qui ont eux-mêmes ratifié le Protocole de l’OMS, une norme juridique supérieure aux directives et lois nationales, se rendent aujourd’hui compte qu’ils sont face à un imbroglio juridique qui devra nécessairement être tranché par la Cour Européenne de Justice. Est-il glorieux pour un Etat membre qui s’obstinerait à appliquer le texte de la Commission, soufflé par les industriels du tabac, d’être traduit devant la Cour Européenne de Justice car il a refusé d’appliquer le droit international pour servir les intérêts de l’industrie du tabac ? La situation est plus délicate encore pour Emmanuel Macron qui s’est engagé par écrit pendant la campagne électorale à mettre en œuvre ce Protocole de l’OMS.

D’ici au 2 juillet, il reste près de 2 mois à l’OMS et à toutes les associations antitabac pour obtenir les 5 ratifications manquantes. Auquel cas tous les pays, l’UE comprise, devraient, à compter du 1er octobre 2018, adapter leurs législation et réglementation pour les rendre conformes au Protocole. OMS et fabricants sont lancés dans une course contre la montre aux intérêts diamétralement opposés.

 

Source : juriguide.com

A propos Houcine ABENKCER 974 Articles
Cofondateur et rédacteur en chef du journal électronique LeVert.ma

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